Lecture Ko Un – par TVREZÉ



 

Pour ma part, j’ai toujours dit que je respirais la poésie. Mais les critiques littéraires ont préféré dire que je la buvais. J’ai considéré que c’était un propos pertinent et je l’ai donc repris par la suite. Dans la Bible, à la place des êtres, on sacrifiait des animaux comme l’agneau. En Asie aussi, en caractère chinois, un sacrifice signifie le fait de donner un agneau à l’esprit des ancêtres. C’est ainsi qu’ils se purifiaient et vivaient une nouvelle vie. De ce point de vue, il n’y a pas de métier plus stupide qu’un poète dans ce monde matérialiste. Car il est très loin du monde économique. La poésie est la notion la plus lointaine du capitalisme. Bien que ce métier soit le plus ridicule, j’écris pour me rapprocher de la source, de l’origine, pour me rapprocher de la nature de l’homme. La poésie est le seul moyen de s’en rapprocher. Lorsque l’on regarde les discours des savants de l’humanité, leurs paroles sont poétiques. La langue a exprimé la vérité avec des comparaisons et des métaphores. C’est donc un acte poétique. De ce point de vue, je considère que je dois me tenir debout dans la tempête pour forger une langue poétique. En sacrifiant quelque chose, en mendiant je peux obtenir une langue poétique. Je suis toujours un mendiant. Je dois mendier auprès de l’univers pour qu’il me donne un mot. Mais l’univers n’est pas si généreux que ça. Il est très avare. Pour obtenir un mot je dois sacrifier quelque chose à l’univers.

Quand je me regarde, je me rends compte que je ressemble beaucoup à mon père. Il était paysan. Quand il y avait la pleine lune, il sortait de sa chambre pieds nus et dansait tout seul pour accueillir la lune. Il n’avait même pas bu. Ma mère le regardait d’un air embarrassé. Je le regardais aussi et je pensais, alors que j’étais tout petit : « Ah ! J’aimerais être père et faire comme lui ! » Il y a un mot, d’origine chamanique, difficile à traduire pour dire cela : Heung. Lorsqu’il n’y avait plus de riz, mon père n’était pas inquiet. Il disait que demain il y en aurait. Malgré la pauvreté, c’était un rêveur. En coréen on dit : Heung. Avant, on faisait l’offrande à la terre. On lui offrait de l’alcool. La terre devenait ivre. Et alors elle bougeait. Les êtres humains qui sont sur cette terre bougent aussi et dansent. C’est le Heung.

Propos recueillis par Jean-Claude de Crescenzo et traduits par Han Ji-hee.
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