Quai Branly – 23 Février 2013

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17h47. On s’assoit en tailleur sur des coussins dans le petit amphithéâtre – gradins rouges – scène bleue. J’aperçois le Gômoungo – instrument traditionnel coréen en bois à 6 cordes et aux frets surdimentionnés – et le pédalier d’effet d’E’Joung-Ju. En face les instruments électroniques, l’ordinateur gris et la guitare noire de Mathias Delplanque. Au fond de grands tissus accrochant la lumière découpent le fond de scène. A coté de moi mon voisin, la cinquantaine inconfortable sur les gradins en lino, pique deux gros coussins pour se caler le dos. Regardant mes jambes croisées, sa grosse moustache noire me dit d’un accent italien assez prononcé : Je n’être pas Japonais pour asseoir comme ça…
18h02. D’un exotisme, l’autre : Alors commença une étrange nuit, toute remplie de visions fantastiques et d’épouvante. Les draperies d’écorce mûrier voltigeaient autour de moi avec des frôlements d’ailes de chauves-souris, le terrible vent de la mer passait sur ma tête. […] Où trouver en français des mots qui traduisent quelque chose de cette nuit » sur le Quai Branly « de ces bruits désolés de la nature, de ces grands bois sonores, de cette solitude dans l’immensité de cet océan, de ces forêts remplies de sifflements et de rumeurs étranges, peuplées de fantômes ; les toupapahous de la légende océanienne, courant dans les bois avec des cris lamentables, des visages bleus, des dents aiguës et de grandes chevelures… Vers minuit, j’entendis au dehors un bruit distinct de voix humaines qui me fit du bien » puis au troisième morceau un Te Te Te Tche rassurant comme le Trans-Europe Express de Krafwerk s’installe, les frottements de cordes et les pitches glissant du Gômoungo s’éclatent en écho panoramiques, les résonances de cordes cuttées, ouvertes ou reverbérées par Delplanque, créent une sorte de Dub Coréen inouï. Parfois, je retraverse les rues d’Omikron, la ville jeu vidéo de Nomad Soul, avec David Bowie sur les harmoniques glacées de Pat Metheny. Un peu plus loin, j’entends la voix de Bjork sur les thèmes hypnotiques se déployant devant nous, comme elle l’a fait avec Matmos ou sur la bande son de Drawing Restraint 9 avec Will Oldham. J’entends aussi les Obliques Sessions et les guitares en plastiques de Comelade, Bastien, Berrocal et Liebezeit. Mais quelque soit les parallèles que j’esquisse, ils ne rendront pas compte de la modernité de ce qu’il s’est passé ce samedi soir de février 2013.
19h10. Après deux rappels, la salle se rallume et les applaudissements sont nourris. « Et vraiment un peu d’amitié avait jailli entre nous, de nos différences profondes peut-être, ou bien de notre enfantillage pareil. »
PAR MISTER FRENCH + extraits de Pierre Loti